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02Fev07



Éditorial

Délocalisation : l'effet ou la cause ?

Il est troublant de constater que la délocalisation - l'impartition de tâches à des firmes basées outre-frontière - touche maintenant les ingénieurs. En sera-t-il du génie comme il en a été de l'industrie textile ou des chaussures ? Une récente étude des chercheurs Pierre Martin et Christian Trudeau, de l'Université de Montréal, effectuée pour le compte de SERVIQ (Corporation de services des ingénieurs du Québec), fait le point sur le phénomène.

Si la délocalisation touche effectivement la profession d'ingénieur, c'est encore d'une façon assez limitée pour l'instant. D'abord, il y a un écart qualitatif réel. Selon les chercheurs, seuls 10 % des ingénieurs de Chine et 25 % de ceux de l'Inde peuvent fournir un travail de calibre « exportable » (1). Ensuite, le nombre de postes d'ingénieurs au Québec susceptibles d'être délocalisés est assez limité, à telle enseigne qu'une croissance économique de 1 % par année l'annulerait sans peine et se solderait par un gain net en emplois. S'il n'y a pas lieu de paniquer, la situation mérite quand même d'être suivie, et c'est ce qu'a fait SERVIQ, très judicieusement, dans le cadre de sa mission élargie qui est de servir les intérêts communs des ingénieurs et d'en faire la promotion. Voilà pour SERVIQ.

Mais la délocalisation soulève d'autres enjeux qui, eux, interpellent l'Ordre. Vous savez que le mandat de l'Ordre est très différent de celui de SERVIQ. En effet, en vertu du Code des professions, l'Ordre doit assurer la protection du public en matière de services d'ingénierie qui touchent notamment la santé, la sécurité, la vie, l'environnement, la propriété. Comme la délocalisation soulève des questions d'intérêt public, l'Ordre a identifié trois enjeux en vertu de son mandat qui est, lui aussi, d'intérêt public.

D'abord un enjeu d'excellence, fondé sur la qualité et l'innovation. L'économie du Québec, dépendante des exportations, peut difficilement se permettre d'être protectionniste et doit miser avant tout sur la qualité de sa main-d'œuvre. Le génie québécois, on le sait, est reconnu pour sa qualité et c'est l'un des plus exportés du Canada. Il faut maintenir et développer cet avantage comparatif. Et c'est là que le bât blesse. Les écoles et facultés de génie du Québec, qui s'évertuent à étirer leurs ressources pour continuer à donner un enseignement de qualité, souffrent d'un grave sous-financement. Selon l'étude effectuée conjointement en 2004 par l'Ordre et le Comité des doyens d'ingénierie du Québec et présentée en Commission parlementaire du Québec, un écart de 67 % sépare le Québec de l'Ontario quant aux ressources consacrées à l'enseignement en génie (2). La situation a peu évolué depuis et le gouvernement du Québec lui-même estime insuffisantes ces ressources. Un tel écart ne peut que nuire, à terme, à la compétitivité. Voilà un enjeu sérieux, et autrement urgent. Il faut remédier à cette situation.

Un autre enjeu professionnel concerne l'encadrement de la pratique du génie au Québec et se rapporte au mandat premier de l'Ordre. De manière très concrète, il reste capital de s'assurer que tout ce qui est conçu à l'étranger ne remet aucunement en question la sécurité ou la santé de la population du Québec. Les services d'ingénierie effectués à l'étranger, mais destinés au Québec, doivent donc présenter les mêmes garanties quant à la compétence et la responsabilité qu'au Québec, et respecter les normes en vigueur ici. L'Ordre devra néanmoins s'assurer que les lois et les règlements sont adaptés à un nouveau type d'environnement de travail éclaté.

Le troisième enjeu professionnel est plus fondamental et collectif, et concerne la relève. Comme le soulignent les auteurs de l'étude susmentionnée, la capacité d'innovation d'une société est un pilier de sa prospérité. Les entreprises du Québec doivent pouvoir trouver ici-même les ingénieurs dont elles ont besoin pour innover et maintenir leurs avantages concurrentiels, notamment sur le plan technologique. Sinon, elles iront les chercher là où ils seront disponibles et notre économie en paiera chèrement le prix. Il faut donc maintenir au Québec une relève en génie de qualité et en nombre suffisant.

Ayant fait preuve de vision, l'Ordre n'a pas attendu le cri d'alarme pour travailler sur ces questions : l'excellence, la réglementation et la relève. Ces enjeux, étroitement reliés on le comprendra, font partie intégrante de notre planification stratégique et nous sommes convaincus que nos efforts concrets dans ce sens permettront d'endiguer les effets d'une délocalisation non contrôlée tout en restant ouvert sur le monde.

Bonne lecture !

Comme d'habitude, je serais ravi de recevoir vos commentaires à l'adresse habituelle : bulletin@oiq.qc.ca

  1. Zaki Ghavitian, ing., président

(1) Pierre Martin, Christian Trudeau, « Les délocalisations d'emplois de haut savoir : À quoi peuvent s'attendre les ingénieurs québécois ? », Le Devoir, 7 décembre 2006

(2) Comité des doyens d'ingénierie du Québec, Ordre des ingénieurs du Québec, Mémoire conjoint présenté à la Commission de l'éducation dans le cadre de la consultation générale sur les enjeux entourant la qualité, l'accessibilité et le financement des universités au Québec, février 2004

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